Introduction au programme

Perspectives missionnaires n° 52

Jacques Matthey,
AFOM et Conseil œcuménique des Églises, Genève

Il m’incombe d’expliquer brièvement le déroulement du programme de cette conférence et donc la structure de la publication qui en rend compte.
    Suite à la présentation faite par Jean-Marie Aubert, président de l’AFOM et président de la conférence, je ferai la parenthèse qui suit avant de revenir sur le programme lui-même. Si l’on fait exception du développement des mouvements pentecôtistes ou charismatiques issus des réveils successifs du siècle passé ou de la difficulté d’une interprétation théologique de la place des religions dans le monde, les changements sociaux et culturels en Occident et leurs implications sur les comportements religieux peuvent certainement être estimés comme le défi missiologique le plus important de ce début de millénaire. Nous sommes les témoins de la fin d’une époque de près de 2000 ans qui avait commencé avec l’empereur Constantin, mais ne savons pas encore vers quel paysage ecclésiastique les transformations actuelles vont nous mener dans les années à venir. Il est donc très heureux qu’après les conférences de Stavanger et Halle, les associations européennes de missiologie se consacrent de nouveau entièrement à la réflexion sur les changements actuels discernés dans le monde européen et les conséquences que cela a, aura et pourrait avoir pour le témoignage chrétien dans ce qu’il est de plus en plus convenu de considérer comme le « champ missionnaire » le plus difficile du monde contemporain.

Les trois grands axes de la conférence

Dans une première partie, nous nous sommes interrogés sur l’interprétation du contexte historique, idéologique, social et culturel dans lequel les Églises européennes se trouvent. Les exposés de ce premier axe ont été centrés sur l’histoire des idées, l’analyse sociologique des changements, la mutation des modèles d’interprétation et les valeurs spirituelles qui sous-tendent les motivations et perceptions de nos contemporains. Si ces premiers intervenants représentent certes des spécialisations et des approches variées, il a semblé essentiel au groupe organisateur d’enrichir la démarche par deux réactions en provenance respectivement du monde pentecôtiste et grec-orthodoxe. Sans ce que nous avons appelé dans le programme des « contre-points », notre perception de la réalité aurait, en effet, été incomplète.
    On peut d’ailleurs se demander si une conférence missiologique comme celle de Paris, tenue dans une dizaine d’années, n’inverserait pas l’approche en offrant un programme dans lequel les thèmes principaux seraient développés par des orateurs et oratrices spirituellement héritiers et héritières du mouvement charismatique et de la tradition orthodoxe, et les contre-points présentés par des missiologues reliés au protestantisme et au catholicisme de la partie occidentale de notre continent.
    La structure du programme, consacrant le premier jour à l’analyse du contexte, avant d’aborder de front les questions bibliques et théologiques, pouvait laisser entendre que le discours missiologique des associations membre de IAMS était entièrement dépendant de l’approche dite « contextuelle », c’est-à-dire qu’il ne peut se développer que sur la base de l’analyse sociale ou idéologique de la réalité continentale. Les exposés qui sont réunis dans ces Actes montrent que les intervenants de cette première partie ne sont pas neutres du point de vue théologique ni ne prétendent l’être. L’analyse, même sociale ou historique, n’est pas sans lien avec la vision que l’on a de l’héritage chrétien et de la mission des Églises. On le sait bien, la théologie contextuelle n’échappe pas au cercle herméneutique ; car aucun discours ne peut faire abstraction des expériences et des choix du chercheur en matière de religion. Il reste que cette structure du programme est nécessaire dans une conférence des associations européennes liées à IAMS ; car ce sont précisément les théologiens européens qui dans l’histoire de l’Église et l’histoire missionnaire ont le plus péché par l’universalisation consciente et inconsciente de leurs discours et interprétations bibliques, les imposant aux Églises ou facultés de théologie issues de cultures tout à fait différentes. Nous devons constamment garder en mémoire les critiques virulentes qui avaient été faites aux chrétiens d’Occident en 1972 lors de la conférence missionnaire de Bangkok. Elles n’ont pas encore vraiment perdu leur pertinence.

    La deuxième partie du programme était consacrée à la tentative de comprendre comment les évolutions qui ont été discernées influencent la vie, le mode d’organisation, le discours et le témoignage d’Églises concrètes. Il n’était pas possible, dans le cadre d’une conférence comme celle de Paris, de faire justice à tous les contextes spécifiques du continent européen. Une intervention principale à partir du contexte néerlandais, et deux contrepoints ont dû suffire. Le travail en ateliers a offert un espace pour des apports supplémentaires en provenance d’autres pays ou régions du continent. Il n’est par contre pas repris dans ces Actes.
    Cette deuxième partie du programme s’est achevée par la rencontre et le dialogue avec des représentants ecclésiastiques et missionnaires français, au siège de l’ancienne Société des missions évangéliques de Paris, au boulevard Arago. Les participants à la conférence y ont été reçus par le Défap-Service protestant de mission. C’est à cette occasion que le pasteur Jean-Arnold de Clermont, président de la Fédération protestante de France et président de la Conférence des Églises Européennes (CEE-KEK), a prononcé le discours reproduit dans ces Actes.

    La troisième partie du programme de la conférence de Paris avait pour but de relire les textes fondateurs de tout « envoi » dans la tradition biblique, puis de tenter une nouvelle synthèse missiologique pour définir les principes du témoignage chrétien contemporain en Occident, tant de la part des personnes que des communautés. À cause d’un empêchement de la part de l’orateur principal chargé de la synthèse, les organisateurs avaient demandé à plusieurs participants et participantes d’accepter de préparer dans de très brefs délais des présentations sur quelques thèmes spécifiques liés à leur compétence particulière, afin de remplacer l’exposé missiologique prévu à l’origine. Les quatre textes publiés dans ces Actes sont donc issus de ces interventions, plus ou moins retravaillées suite à la conférence. Une note rappellera le caractère nécessairement contextuel de telles interventions. Peut-être était-ce là une incitation de passer d’une forme de théologie et d’exposé académique héritée de la modernité à une manière de procéder plus postmoderne…
    Cette troisième partie de la démarche se devait de donner de la place aux expériences concrètes de la vie et du témoignage des Églises. Durant la conférence, une première approche s’est tout naturellement faite par la participation aux services liturgiques du dimanche matin dans des communautés à Paris. La partie formelle incluait, elle, des présentations détaillées d’expériences faites actuellement en Europe. Plus que toute autre branche de la théologie, la missiologie perd sa crédibilité si elle n’est pas articulée à la réalité du témoignage vécu. Parmi les questions abordées, on pouvait noter les types de présence, les questions d’ordre liturgique, et une réflexion sur les ministères ainsi que sur l’aspect universel du mandat de l’Église. Même si la conférence de Paris était consacrée à la réflexion sur la mission en Europe, l’envoi à la suite du Seigneur crucifié et ressuscité ne peut jamais se limiter à un seul contexte. Il incombait donc également de réfléchir à la manière dont la participation des Églises d’Europe à la mission mondiale peut se faire dans le contexte historique précis qui est le nôtre. Un « contrepoint » important a clos cette partie de la conférence : il s’agissait d’interventions de missiologues orthodoxes d’Europe de l’Est sur des aspects de la théorie et pratique de la mission dans leurs Églises. Pour des raisons de place, ces nouveaux contrepoints peuvent être consultés sur le site www.afom.org.
    À ce point de la démarche, la parole fut donnée à un « grand témoin » du Sud. Car si les chrétiens européens portent la responsabilité principale pour discerner la volonté de Dieu et le mandat des Églises dans leur continent, ce discernement ne pourra être que partiel, voire partial, sans un dialogue sérieux avec ceux et celles qui portent un regard de l’extérieur sur nos cultures et nos Églises, qu’ils vivent parmi nous comme représentants des autres cultures ou que leur discours provienne d’autres continents. Ce n’est qu’au prix d’un large dialogue interconfessionnel et interculturel que le Saint Esprit nous guidera vers la vérité tout entière, selon la promesse de l’Évangile de Jean.
    On ne peut que souhaiter que ce genre de rencontre de théologiens de la mission s’intensifie encore à l’avenir, pour le bien du témoignage chrétien en Europe, comme dans les autres continents. Une occasion en sera offerte dans les mois et années qui viennent par le processus international et interconfessionnel d’études visant à préparer les célébrations du centenaire de la conférence missionnaire mondiale d’Edimbourg en 2010. Les contributions et discussions de la conférence de Paris publiées dans ces Actes sont une contribution à ce processus.
    Durant la conférence, un « groupe d’écoute » avait été constitué avec des représentants et représentantes de chacune des associations missiologiques participantes. Ce groupe avait été chargé de discerner des pistes importantes pour la réflexion future, de rendre visibles des éléments communs et des divergences, mais pas d’offrir un texte que la conférence aurait à approuver. Le rapport a été lu en séance plénière, mais ni discuté ni adopté. Il représente l’état de la réflexion commune du groupe d’écoute.
    L’ordre des textes de cette publication correspond dans l’ensemble à l’ordre dans lequel les exposés ont été tenus. Dans certains cas, des explications supplémentaires ont été insérées en guise d’introduction à certaines interventions.