Missiologues : au travail !
Jean-François Zorn
Le regain des études sur la mission est un phénomène remarquable de
notre temps. Qui aurait cru, aux lendemains des événements de 1968 qui
relayaient le cri des peuples opprimés par le système colonial
agonisant, que quarante ans plus tard la question missionnaire serait à
nouveau au cœur des grandes questions d’aujourd’hui : la
mondialisation, l’altérité culturelle, le dialogue des civilisations,
la liberté religieuse ? Il était entendu, à cette époque, que le
dernier grand mouvement missionnaire chrétien de l’époque contemporaine
avait tellement eu partie liée avec le mouvement colonial, que la
disparition de ce dernier signifiait la disparition du premier. Un
mariage et deux enterrements en quelque sorte !
Le monde chrétien, catholiques et protestants
confondus, à l’exception des évangéliques, croyait aussi la cause
entendue : « mission accomplie ! » câblait, en 1960 à sa direction, un
missionnaire après qu’il eut proclamé son autonomie à l’Église
d’Afrique qu’il avait vaillamment servie pendant vingt ans. Certes, un
nouveau modèle missionnaire devait sortir des cartons des synodes,
puisque c’est dans les Églises désormais et non plus dans les sociétés
missionnaires qu’on devait réfléchir à « ça » ! Comme le concept de
mission avait « pâli » (sic) c’est grâce à « l’action apostolique
commune », qu’une nouvelle ère allait commencer : la mission de papa
était bel et bien terminée. Elle est en effet terminée, mais la mission
du Père, elle, continue, sans qu’il soit besoin de changer de vocable
pour la désigner puisqu’en réalité, cette mission n’est pas de même
nature que la colonisation. Même si elle a grandi, souffert, failli,
perduré, sous la colonisation, en Christ la mission de Dieu est dans le
monde sans être du monde (Jn 17,11, Gal 4,3, Col 2,20).
Cette identité-là de la mission est symbolique,
cachée au monde et révélée à ceux qui y croient et en vivent. Elle ne
relève pas du « fait missionnaire » qu’observent les études
scientifiques. Pourtant n’est-il pas étonnant de lire dans ces études
des phrases comme celle-ci : « Le regard des missionnaires chrétiens
sur le monde contribue à nourrir une interrogation critique sur
l’altérité, réflexion qui est au centre de la tradition intellectuelle
européenne mais qui n’existe pas dans toutes les civilisations » ? Ou
celle-là : « L’histoire des missions chrétiennes apparaît comme un fil
d’Ariane particulièrement riche pour analyser la mondialisation, ce
formidable brassage des êtres et des imaginaires, des modes de vie et
de pensée, des techniques et des objets qui affecte la planète depuis
le XVIe siècle » ? J’extrais ces citations de deux revues « profanes »
qui ont publié à quelques années d’intervalle un dossier complet sur
les missions : Les Cahiers de médiologie en 2004, d’où est tirée la
première citation de Catherine Bertho Lavenir, professeur d’histoire
contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle (1);
Autrement en 2008, d’où est tirée la seconde citation de Laurent
Lartigue, Alain Guillemin, Isabelle Merle, chercheurs spécialistes du
Sud-est asiatique et du Pacifique (2). Ces revues
ne font évidemment pas de l’apologétique missionnaire. Elles ne se
départissent pas de leur esprit critique et ne passent pas sous silence
les ambiguïtés de la mission chrétienne : si, à l’époque contemporaine,
celle-ci est l’héritière de l’esprit généreux des Lumières, avant cette
période elle fut aussi une machine à « faire croire » utilisant de
multiples formes de violence allant de la contrainte directe à la
manipulation sournoise pour « faire corps ».
Mais ce qui m’importe dans ces tentatives, c’est le
fait que d’autres chercheurs que les missiologues s’intéressent
aujourd’hui à la mission. Elle qui fut souvent « capturée » par les
missionnaires qui se sont faits les interprètes souvent exclusifs de
leur cause, est désormais dispensée de devoir s’auto-justifier. Oui,
pour nous missiologues, la recherche universitaire pluridisciplinaire
sert la cause de la mission ! Replacée parmi les œuvres humaines,
déliée du compromis colonialiste et de la tentation triomphaliste, la
mission apparaît au grand jour pour ce qu’elle est : l’ardente
obligation des chrétiens de témoigner de l’Évangile. Cela peut être
coûteux, comme on le voit aujourd’hui en Algérie, en Irak et dans
bien d’autres lieux encore. Aussi les missiologues qui peuvent
réfléchir et publier sans être inquiétés doivent-ils, à la lumière des
études de leurs collègues d’autres disciplines et au feu de leurs
frères persécutés pour l’Évangile, rentrer dans leurs ateliers pour
travailler à refonder théologiquement la mission. Cette contribution à
la recherche est attendue : elle est nécessaire à la propagation de
l’Évangile.
Notes
1. Catherine Bertho-Lavenir (Dir), « Missions
: laboratoires de la conversion », Dossier « Missions », Cahiers de
médiologie, n̊17, Paris, Fayard, 2004, p.14.
2. Laurent Lartigue, Alain Guillemin,
Isabelle Merle, « Histoire des missions en Asie et dans le Pacifique :
missionnaires chrétiens XIXe – XXe siècle », in : Autrement, n̊139,
avril 2008, p.14.
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