Présentation du dossier
La XIIIe Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation (Athènes mai 2005)

Jean-François Hérouard


Quelle meilleure célébration de son numéro 50 pour une revue de missiologie que de se faire l'écho de la treizième Conférence mondiale sur la mission et l'évangélisation, organisée  sous les auspices du Conseil œcuménique des Églises
 ? Au-delà des aspects institutionnels, il est en effet à prévoir que la teneur proprement théologique de ses débats ne restera pas sans influence sur les « stratégies » missionnaires des diverses dénominations. Du moins pour celles qui se veulent unies dans la conviction d'être appelées « en Christ à être des communautés de réconciliation et de guérison », dans un monde divisé, qui aspire à la « réconciliation entre l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud, et entre les chrétiens et les croyants d'autres religions ». (Lettre d'Athènes aux Églises, aux communautés et aux réseaux chrétiens).

Nous publions l'intégralité de cette lettre finale, qui, dans un format raisonnable, a su trouver un style d'envoi, qu'on a envie de dire inspiré. On imagine à quels choix douloureux ses rédacteurs finals ont dû procéder pour ramener à deux feuillets huit jours de débats impliquant 600 personnes de 105 pays, sans parler des travaux préparatoires, dont Perspectives Missionnaires a donné un aperçu dans son précédent numéro. C'est pour restituer un peu de la richesse et de la diversité des diverses contributions que nous présentons ce dossier. Le lecteur y trouvera des compléments et prolongements aux thèses d'Athènes, des discussions critiques et des propositions de réflexion ou d'action pour l'avenir.

Les grands axes

D'une lecture transversale de ces documents d'une grande richesse, forcément subjective et n'engageant donc que le rédacteur, on peut extraire quelques axes structurants.

Et d'abord des éléments de contexte. La Conférence est la première à se dérouler dans un contexte essentiellement orthodoxe. Mais pour la première fois aussi, elle a accueilli comme participants à part entière un nombre significatif de délégués d'Églises non membres du COE : l'Église catholique romaine et plusieurs Églises et réseaux pentecôtistes et évangéliques. Le pentecôtisme est reconnu comme le courant du christianisme dont l'essor est le plus manifeste à l'échelle mondiale aujourd'hui, ce qui le place à la pointe de l'entreprise missionnaire. Il a émergé essentiellement dans le tiers-monde. Or, si les centres de pouvoir se situent (encore) principalement dans le Nord, c'est dans le Sud (mais aussi à l'Est) que les Églises connaissent la croissance la plus rapide.

Quant aux contenus, tous les participants s'accordent (pour l'approuver ou le regretter) à souligner la forte inflexion pneumatologique prise par la réflexion commune. Avec la place centrale nouvellement donnée à l'Esprit Saint dans les débats missiologiques, il semble qu'apparaisse une vision plus universaliste. La théologie de la mission, sans négliger l'évangélisation comme centre d'intérêt premier, remet de facto en cause le prosélytisme, non seulement vers les chrétiens d'autres confessions, mais également vers les personnes appartenant à d'autres religions. Ce qui renouvelle l'approche de la question du pluralisme religieux.

Enfin, un autre point fort de la Conférence fut la rencontre entre orthodoxes et pentecôtistes. L'amorce d'un débat théologique entre deux traditions très éloignées l'une de l'autre contient d'importantes promesses pour l'avenir.

Des réactions enrichissantes

Nous publions d'abord un premier bloc de quatre réactions issues de trois continents (on notera l'absence de l'Asie).

De Grèce, une évaluation d'un point de vue orthodoxe, largement évoquée ci-dessus, qui se termine par un souhait d'engagement plus affirmé au sein du Conseil œcuménique.

Du Brésil, une mise en garde. « Alors que l'impérialisme est aujourd'hui continuellement battu en brèche - et qui s'en plaindrait ? -, le paternalisme reste en revanche une attitude courante (…) à l'intérieur des structures des « vieilles » Églises (…) gagnées à une théologie libérale qui entretient un mariage de convenance avec une société fortement sécularisée ». L'auteur propose alors des pistes pour un véritable partenariat missionnaire Nord-Sud.

D'Afrique, un double éclairage : d'abord, une relativisation des critiques émises à l'encontre de la période coloniale. « Cependant, beaucoup d'entre nous sommes les produits de cette même entreprise missionnaire. Et Dieu abhorre tout esprit d'ingratitude ». Ensuite, un regret : celui de n'avoir pas vu retenu par le seul groupe de travail consacré au pluralisme religieux, « l'hospitalité » comme un paradigme possible pour le dialogue interreligieux.  Pour l'auteur, le paradigme de l'hospitalité reste pertinent. « Après tout, c'est l'attitude magnanime des Africains et des religions traditionnelles africaines qui a permis au christianisme de trouver initialement sa place sur ce continent ».

D'un collectif britannique émane une mise en garde, d'un ton remarquablement irénique, sur le fait que « la mission qui évangélise n'a pas figuré de façon importante au programme. » Or, « l'évangélisation est un élément clef de la mission chrétienne globale, précisément parce qu'elle est le moyen par lequel nous nommons Celui qui rend possible la guérison et la réconciliation, dans sa vie, sa mort et sa résurrection ».

La contribution de l'Afom

Le deuxième bloc de réactions que nous publions comprend trois conférences qui, au retour d'Athènes, ont été données le 27 mai 2005 au Défap dans le cadre de la soirée publique de l'assemblée générale de L'Afom (Association Francophone Œcuménique de Missiologie).

Jean-François Faba, après un regard rétrospectif sur l'évolution de la réflexion œcuménique dans sa dimension missiologique, explique par des éléments contextuels comment le COE en est venu à proposer une conférence centrée sur l'action de l'Esprit Saint. Il souligne l'enjeu de la mise en dialogue des orthodoxes et du courant pentecôtiste : un risque de marginalisation des « théologies classiques représentées par les Églises protestantes traditionnelles et l'Église catholique romaine », pour lesquelles « la mission est essentiellement dirigée vers l'individu ». Dès lors, l'auteur s'interroge : si la guérison et la réconciliation concernent la société, « donnent-elles l'obligation de penser le monde différemment afin qu'il prenne la saveur du Royaume, ou s'agit-il de renforcer dans la communauté de l'Église la saveur du Royaume, car pour le monde il n'y a plus d'espoir. Dans cette perspective, la grâce abonde dans l'Église et le monde en est privé ». Il devient donc urgent de repenser le rôle de la diaconie, pour autant qu'elle ne s'adresserait qu'aux seuls membres de la communauté confessante ou à ses marges. Autrement dit, conclut sévèrement l'auteur, « si l'Église n'est plus missionnaire, elle doit avoir l'humilité de fermer ses portes et d'arrêter de penser qu'elle a un devoir d'ingérence dans les affaires du monde ».

Bernard Ugeux souligne que « la définition de l'Église comme une communauté de réconciliation et de guérison, à la suite du Christ (…) semble poser moins de problèmes pour les communautés protestantes (au moins pour les évangéliques et les pentecôtistes) ou orthodoxes, que pour les paroisses catholiques, sauf pour celles qui sont sensibles à la dimension charismatique ».

Notre « dossier Athènes » se conclut et culmine sur une importante contribution proprement théologique de Jacques Matthey, qu'il n'est pas question de résumer, mais dont on peut espérer qu'elle nourrisse les prolongements académiques, institutionnels et spirituels qui seront donnés à la Conférence d'Athènes. Il s'agit de propositions pour un renouvellement de la pneumatologie, c'est-à-dire la théologie de l'Esprit Saint,. en passe de quitter la périphérie pour venir au centre de la réflexion missiologique.

Un dernier article propose une illustration concrète du ministère de guérison et de réconciliation. La conférence de Gilbert Charbonnier elle a aussi été donnée à l'occasion de l'assemblée générale de l' Afom. De retour d'une mission au titre du Programme d'Accompagnement en Palestine-Israël mis en place par le Conseil œcuménique des Églises, l'auteur décrit la situation de violence quotidienne qui s'exerce sur un tout petit territoire, face à laquelle le témoignage de la communauté chrétienne arabe est difficile. Malgré les difficultés culturelles, et d'abord linguistiques, les participants du programme présentent un témoignage de première main sur les efforts de réconciliation dans ce contexte, et sur le sens de cet accompagnement.



En remerciant les différents auteurs de lui avoir confié leurs contributions, Perspectives Missionnaires espère que ce numéro 50 fera date, et permettra à ses lecteurs de s'approprier les travaux de la conférence d'Athènes et de leur donner des prolongements dans leurs diverses appartenances ecclésiales et académiques.