Présentation du dossier
« À propos des nouvelles formes d'Église »

Andrew Buckler

Dans la pensée et la pratique missiologique, on a, depuis plusieurs décennies, le réflexe de comprendre la mission comme un dialogue essentiel et réciproque entre message évangélique, communauté de foi et contexte culturel local. Le processus d'inculturation, ou contextualisation, qui en résulte rend la tâche missionnaire plus complexe, certes, mais aussi beaucoup plus riche. Qui sait d'avance quels seront les contours de la communauté de foi nouvellement constituée ? Qui peut prévoir les effets du message évangélique ?

Si les questions d'inculturation de l'Évangile font partie du paysage religieux des pays qui ont traditionnellement été perçus comme terres de mission, elles sont par contre restées à la périphérie de l'Église dans les pays qui ont été à l'origine du mouvement missionnaire du xixe siècle. Tant que le contexte a été, dans ces derniers, dominé par la présence d'une foi chrétienne qui avait contribué à construire la culture, par des Églises situées au centre du tissu social, bref, par un Évangile depuis longtemps incarné dans la société, il était naturel que n'émerge aucune remise en cause profonde de la mission de l'Église. En revanche, à partir du moment où les institutions et les certitudes commencent à s'effriter, où la stabilité sociale cède la place au 'changement permanent', l'on comprend que la question du rapport entre l'Évangile et la culture devienne primordiale.

Telle est la situation actuelle des sociétés 'occidentales', secouées par « des turbulences culturelles marquant une transition du connu vers l'inconnu » (1). Définissant cette période de changement profond, Stuart Murray parle d'une « culture qui émerge au moment même où la foi chrétienne perd sa logique au sein d'une société jadis modelée par le récit chrétien et alors que les institutions construites pour exprimer les convictions chrétiennes perdent de leur influence. » (2)

Dans un tel contexte, le christianisme traditionnel paraît déconnecté des réalités de la vie et son message dépassé. Ayant perdu leur pertinence, les Églises se vident. Ce phénomène, qui touche toutes les Églises historiques, est particulièrement évident en France. Selon une enquête récente, si 66,3 % des sondés se réclament toujours du christianisme, seuls 4,3 % d'entre eux fréquentent régulièrement un lieu de culte. (3)

Face à cette mutation socio-religieuse, deux réactions sont possibles  : celle du repli identitaire qui cherche la préservation, ou celle du défi missionnaire qui cherche l'interaction.

Pour ceux qui font le choix de relever le défi, persuadés qu'un engagement créatif avec la culture - une nouvelle inculturation de l'Évangile - peut répondre à la soif du 'spirituel' qui, contrairement à la fréquentation des Églises, ne cesse d'augmenter, l'entreprise missionnaire est loin d'être évidente. En effet, des sous-cultures différentes et variées, produites par la fragmentation des sociétés occidentales, coexistent avec des cultures historiques toujours présentes. Il s'agit d'une situation fondamentalement inédite pour nos Églises (4) qui assistent à l'émergence d'un phénomène missionnaire s'exprimant dans de nouvelles formes ou expressions d'Église.

Voici le contexte du dossier de ce numéro de Perspectives Missionnaires sur les nouvelles formes de l'Église. Le choix a été fait d'ouvrir le débat en partant du contexte britannique où la réflexion sur les nouvelles formes d'Église est relativement avancée et les initiatives multiples. Au milieu de la transformation actuelle de la société britannique, comment les Églises cherchent-elles non seulement à exprimer leur mission évangélique, mais aussi à la vivre ? Trois articles (Andrew Buckler, George Lings et Steven Croft) nous font découvrir ce paysage religieux en pleine évolution.

D'autre part, qu'en est-il du contexte français ? Nous constatons que le défi auquel les Églises de ce pays sont confrontées n'est pas moindre. Un article de Jean Hassenforder ouvre sur ce sujet des perspectives à partir d'une comparaison entre les situations britannique et française. Les deux articles qui suivent illustrent des réponses à la fois concrètes et différentes : à Taizé la communauté a su répondre à une demande inattendue de spiritualité de la part des jeunes ; dans l'Église de l'Espérance, la communauté cherche à entrer en dialogue avec la culture contemporaine.

Dans un contexte de globalisation, les évolutions culturelles qui touchent une partie de notre monde trouvent vite des échos dans d'autres endroits. Le dernier article du dossier nous introduit dans une autre société en pleine transformation économique et sociale. Jean Charbonnier offre ainsi une perspective œcuménique sur les nouvelles façons de faire Église en Chine.

Il n'est guère étonnant qu'à des situations en pleine évolution et d'une surprenante diversité corresponde un langage missionnaire tout aussi diversifié. C'est ainsi qu'il est question tour à tour de nouvelles formes d'Église, de nouvelles expressions d'Église, de nouvelles façons d'être Église, d'Église émergente, d'implantation d'Églises nouvelles… Dans ce dossier, nous avons fait le choix de garder les expressions utilisées par chaque auteur. Un témoignage de la richesse du dialogue missionnaire de l'Église 



Notes



1.

1. Jean Hassenforder, Faire Église en post-chrétienté, Groupe de recherche Témoins (www.temoins.com).

2.

2. Stuart Murray, Post Christendom, Church and mission in a strange new world, Paternoster, 2004, cité par Jean Hassenforder, op.cit.

3.

3. Enquête CSA 2003-2004, La Croix du 24 décembre 2004, cité par Stéphane Lauzet, dans Brian McLaren, Réinventer l'Église, communiquer l'Évangile dans un monde postmoderne, Ligue pour la lecture de la Bible, 2006, p. 9.

4.

4. Laurent Schlumberger, Sur le Seuil : les protestants au défi du témoignage, éd. Olivétan, 2005, p. 9.