Jean Hassenforder
Refonte de deux précédents articles, le présent
texte combine une analyse de la situation française quant au phénomène
de l’Église émergente avec une analyse comparative mettant
en parallèle les situations française et britannique. Constatant
que le phénomène passe encore quasi inaperçu en France
alors qu’il est déjà largement pris en compte par les Églises
en Grande-Bretagne, l’auteur entreprend un inventaire des différents
types d’initiatives novatrices pouvant toutefois y être rattachées.
Il passe pour cela en revue l’ensemble du paysage ecclésial français,
du milieu catholique – l’institution par excellence - à la mouvance
interconfessionnelle, en passant par le protestantisme classique et le monde
évangélique. L’auteur s’attache ensuite à identifier
les facteurs qui sont à l’origine des différences actuelles
entre les deux pays : facteurs historiques, sociologiques, ecclésiologiques.
Il évalue enfin les évolutions prévisibles pour les
prochaines années.
De nombreuses études montrent le développement d’une Église
émergente en Grande Bretagne et ailleurs. Au Royaume-Uni comme en
France, une véritable mutation culturelle nous fait entrer dans ce
qu’on peut appeler une période post-moderne ou ultra-moderne, et certainement
dans une post-chrétienté. Ce changement appelle de nouvelles
formes d’expression de foi, une nouvelle manière de « faire
Église ». Au cours des dernières décennies, de
nombreuses innovations sont intervenues. Un mouvement foisonnant se développe
dans des directions variées et témoigne d’une grande créativité.
Le théologien britannique Stuart Murray distingue pour sa part trois
grandes pistes en cours d’exploration :
• Des Églises centrées sur la mission. Elles
ciblent une population spécifique (sous-cultures : jeunes, minorités
ethniques etc.), se réorganisent autour de leur mission (petits groupes,
rencontres pour les personnes en recherche), s’installent dans de nouveaux
lieux (cafés, lieux de travail, internet).
• Des Églises centrées sur le développement
communautaire. Elles s’impliquent dans des initiatives urbaines, relient
des croyants mécontents (groupes domestiques ou informels), redécouvrent
une vie communautaire (Églises de maisons, Églises post-Alpha,
nouvelles formes de communautés monastiques).
• Des Églises centrées sur des nouvelles
façons de rendre un culte à Dieu (cultes alternatifs, Églises
pluralistes, mouvements de prière, sites internet).
Dans quelle mesure ce phénomène existe-t-il aussi en France
? Apparemment, ce foisonnement n’a pas d’équivalent dans notre pays.
Le concept même d’Église émergente commence tout juste
à y être connu. Cependant, des initiatives missionnaires s’y
développent.
L’Église catholique au cours des derniers siècles s’est
principalement manifestée sous la forme de l’institution paroissiale.
Comme l’écrit la sociologue Danièle Hervieu-Léger «
la figure du pratiquant régulier correspond à une période
typique du catholicisme marqué par l’extrême centralité
du pouvoir clérical et par la forte territorialité des appartenances
communautaires ». L’affaissement actuel de la pratique religieuse traduit
la crise de ce modèle. Dans le même temps, d’autres figures
du religieux sont en train de naître, de la « religiosité
pèlerine » à une spiritualité caractérisée
par un accent mis sur la conversion. On constate, depuis environ cinquante
ans, l’apparition, plus ou moins en marge de l’Institution, de différentes
formes de groupes et de communautés : (...)