Christianisme en zones interdites
Andrew Buckler
En novembre 2007, le petit temple protestant de Dayeuh Kolot, dans
l’ouest de l’île de Java, en Indonésie, est attaqué par un commando qui
brise la grande croix en bois, jette dans la cour les bancs, la chaire,
l’harmonium et « tague » les murs en lettres rouges. Lorsque la police
arrive, la bande est déjà loin. Heureusement, cette fois-ci, il n’y a
pas de blessés. Mais la petite communauté chrétienne est secouée. Le
prétexte à ces actes ? Comme tant d’autres, ce lieu de culte protestant
(pourtant ouvert en 1957), n’a pas d’autorisation officielle. En fait,
dans cette région de Bandung, seuls 28 % des lieux de culte chrétiens
ont réussi à obtenir une autorisation officielle. À Java, aucune
nouvelle autorisation n’a été délivrée depuis dix ans. Résultat ? Des
communautés chrétiennes obligées de s’organiser dans l’illégalité
deviennent la cible de groupes islamistes. Et pourtant, le plus grand
pays musulman du monde reconnaît officiellement la pluralité
religieuse. Le christianisme n’y est pas interdit…(1)
Vous l’aurez compris, notre dossier « Christianisme
en zones interdites » tente d’éclairer des situations de christianisme
minoritaire où l’expression de la foi chrétienne est soumise à des
restrictions parfois sévères. Dans ces conditions d’existence si
particulières, comment les communautés chrétiennes vivent-elles leur
foi ? Quelles sont les « stratégies » adoptées, entre repli et
témoignage, assimilation et résistance, affirmation individuelle et
appartenance au groupe ? Les questions sont nombreuses…
Trouver un titre à ce dossier n’a pas été facile !
Certes, il existe des pays où toute expression de la foi chrétienne est
formellement interdite. En revanche, comment parler de « zones
interdites » dans des pays où le christianisme, implanté depuis des
siècles, est reconnu dans la constitution ? Faudrait-il parler plutôt
de « zones sensibles » ou de « zones à risque » ? D’autre part, comment
prendre en compte toute la diversité des situations existantes ?
Comment éviter de simplifier à outrance et, du coup, de pointer du
doigt une situation unique, une aire géographique particulière ?
Dès le départ, il nous a paru important de donner la
parole à des personnes directement concernées et dans des contextes
divers. Vous découvrirez ainsi un dossier fortement marqué par des
expériences de terrain : en Algérie avec Zohra Aït Abdelmalek, en
Arabie Saoudite, aux Comores avec A. Ibrahim mais
aussi en Indonésie et en Inde, avec les contributions de Jean Moriceau
et Camille Cornu. En même temps, plusieurs articles ouvrent des pistes
de réflexion : sur les plans missiologique pour Donald Cobb, historique
et dogmatique pour Martin Burkhard, missiologique et pastoral pour
Gérard Daucourt, socio-anthropologique enfin pour Bernard Coyault.
Fondamentalement la question est celle du choix
individuel et de ses répercussions dans la société. Dans beaucoup de
pays où le christianisme est officiellement reconnu, toute forme de
prosélytisme est interdite. Tout changement d’appartenance religieuse
est vécu comme un rejet inacceptable des normes et des valeurs de la
société. Ce problème est exacerbé lorsque les convertis cherchent à se
constituer en communauté. Le nouveau groupe est alors perçu comme un
élément profondément déstabilisateur. Comme nous le rappelle Gérard
Daucourt, « Qui dit chrétien, dit missionnaire ». Des tensions
importantes existent pourtant entre des communautés chrétiennes
établies de longue date, qui privilégient souvent une « présence
symbolique et muette », et d’autres, plus récentes, qui insistent sur
une évangélisation sans complexe. Tension également entre un
christianisme souvent perçu comme religion étrangère et la réalité
d’inculturations sociales ou historiques non négligeables. Tension
enfin entre la crise intérieure nécessaire à la conversion individuelle
et le rôle du groupe social…
Nombreux sont les chrétiens qui souffrent
aujourd’hui pour leur foi : des femmes et des hommes pour qui
reconnaître le Christ et appartenir à son peuple peut conduire au
martyr. Il nous importe de les écouter. Il nous importe en même temps
de situer leur choix et leur vécu au sein d’évolutions et de tendances
générales : une offre religieuse qui se « démocratise », se « globalise
», souvent par le biais des nouveaux médias, lançant du coup un vrai
défi à des sociétés entières.
Note
Voir l’article « Chrétiens en terre d’Islam » publié dans
l’hebdomadaire français l’Express n̊2951, en date du 24 janvier 2008,
p. 64. Information également relayée en anglais sur le site de l’agence
de presse catholique Asianews.it : http ://www.asianews.it/index.php ?l=en&art=10855
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