PM 60 - Éditorial

Hannes Wiher


Que dire à propos du centenaire de la Conférence missionnaire mondiale d'Édimbourg 1910 ? Et que dire des cent ans écoulés depuis Édimbourg 1910, sur ce siècle qui a suivi « le grand siècle » du mouvement missionnaire ?

Édimbourg 1910 fut considérée par John R. Mott, son président, comme « la rencontre la plus importante jamais tenue en vue de l'expansion mondiale du christianisme » (1) . Selon Kenneth Scott Latourette, le grand historien de « l'expansion du christianisme », Édimbourg 1910 fut « le berceau du mouvement œcuménique » (2) . « Son résultat le plus remarquable fut de présenter - de façon argumentée pour la première fois dans l'histoire chrétienne européenne - une vision de l'Église comme réalité globale » (3) . Ce pressentiment que le christianisme deviendrait un mouvement mondial, se fit clairement jour lors d'un certain nombre de débats : il est devenu réalité au cours du xx e siècle. Mais au cours de ce même siècle un changement beaucoup moins attendu  s'est produit : le centre de gravité du christianisme s'est déplacé vers le Sud. Si, en 1910, les Occidentaux formaient la grande majorité des chrétiens, en 2010 80 % des chrétiens vivent en Asie, en Afrique et en Amérique latine.

La conférence d'Édimbourg 1910 s'est tenue dans un contexte très optimiste, typique de la fin du xix e et du début du xx e siècle, marqués entre autres par le développement technologique et économique de l'Occident et par le grand dynamisme des réveils anglo-saxons et du grand mouvement missionnaire. Dans cette même logique, le mot d'ordre de John Mott, qu'il légua d'ailleurs au mouvement missionnaire américain du début du xx e siècle, c'était « l'évangélisation du monde dans cette génération ». Aujourd'hui, cent ans après, nous sommes beaucoup moins optimistes. Pourquoi ? Les deux guerres mondiales meurtrières, qui suivirent Édimbourg 1910, ont détruit radicalement l'optimisme du début du siècle et l'espérance en un futur plus lucide. Ce siècle n'a pas non plus vu de grands réveils en Occident qui auraient pu susciter un élan missionnaire comparable à celui du xix e siècle. On a en revanche assisté à une formidable croissance de l'Église au Sud. Par ailleurs, ce siècle a vu une rupture au sein des protestants : celle-ci a commencé à se dessiner dans les années 1920 avec l'arrivée du courant de « l'Évangile social » qui a placé sa priorité dans l'action sociale au détriment de « l'évangélisation du monde ». Réagissant à ce déséquilibre, les évangéliques, engagés dans l'évangélisation et l'action sociale tout au long des xviii e et xix e siècles, ont mis l'accent sur les vérités bibliques fondamentales et l'évangélisation au détriment de l'action sociale, provoquant un déséquilibre dans l'autre sens. Le mouvement œcuménique naissant a mis l'accent sur l'intervention socio-politique de l'Église.

Par la suite, les positions théologiques prises par les deux mouvements ont divergé de plus en plus, de sorte qu'après la conférence missionnaire de Bangkok en 1972, le mouvement évangélique s'est structuré à part du mouvement œcuménique. C'est dans ce contexte que fut organisé le premier congrès de Lausanne en 1974. Toutefois, vers la fin du siècle, les positions théologiques se sont de nouveau rapprochées et équilibrées. En 2010, nous constatons certes qu'il y a deux commémorations d'Édimbourg 1910 distinctes : la rencontre du mouvement œcuménique à Édimbourg, lieu prestigieux, et le congrès évangélique au Cap, un site où déjà en 1810 William Carey avait souhaité voir se tenir une conférence missionnaire mondiale. Son rêve se réalise deux cents ans plus tard. Mais, malgré la séparation structurelle, les positions théologiques des déclarations respectives sont très similaires (4) .

Cent ans après Édimbourg 1910 et son élan pour « évangéliser le monde » (5) , dans une Europe post-chrétienne qui accueille des populations du monde entier, et dans un monde où le plus grand nombre ne connaît pas encore la vie en Jésus-Christ, la question de l'apôtre Paul reste d'actualité pour une Église chrétienne qui peine souvent à se démarquer : « Or, comment l'invoqueraient-ils, sans avoir cru en lui ? Et comment croiraient-ils en lui, sans l'avoir entendu ? Et comment l'entendraient-ils, si personne ne le proclame ? Et comment le proclamer, sans être envoyé ? » (Rm 10,14-15). Le mandat de l'Église d' »être une bénédiction » (Gn 12,3), d'être « sel et lumière » pour les autres (Mt 5,13-16), et de « faire des disciples » de tous les peuples (Mt 28,19) reste d'actualité jusqu'au retour du Christ. Le changement de vocabulaire - d' »évangéliser le monde », mot d'ordre de John Mott (1900) (6) mais aussi de la Déclaration de Lausanne (1974) et du Manifeste de Manille (1989) (7) , à « témoigner du Christ » (Appel commun d'Édimbourg 2010) et à « réconcilier le monde » (Engagement du Cap 2010) - indique-t-il un passage de témoin du Nord au Sud ? Marque-t-il un retour au vocabulaire biblique ? Indique-t-il une prise de conscience de la complexité de la tâche missionnaire ou pointe-t-il vers un abandon du mandat ? Si nous voulons faire nôtre la mission de Jésus, nous sommes appelés à devenir « humbles de cœur » (Mt 11,29), à « être des disciples » de Jésus et enfin à « faire des disciples » comme Lui, par notre manière d'être, nos paroles et nos actes.


Notes

1. C. Howard Hopkins, John R. Mott 1865-1955. A Biography , Genève/Grand Rapids, COE/Eerdmans, 1979, p. 342.

2. Kenneth Scott Latourette, « Ecumenical Bearings of the Missionary Movement and the International Missionary Council», in Ruth Rouse &Stephen Neill, eds., A History of the Ecumenical Movement, 1517-1948 , vol. I, 4 th ed., Genève, COE, 1993 1954, p. 362. Selon son site internet, le COE ne semble pas être d'accord avec cette interprétation : www.wcc-cœ.org/wcc/what/mission/hist-e.html#1.

3. David A. Kerr & Kenneth R. Ross, « La Conférence missionnaire mondiale d'Édimbourg en 1910", Histoire et Missions chrétiennes n o 13, mars 2010, p. 31.

4. Cf. les deux déclarations : celle du mouvement œcuménique, l'« Appel commun de la conférence d'Édimbourg 2010", Perspectives Missionnaires no 59, 1, 2010, p. 103-105, en ligne sur :
http://www.afom.org/Textes/Edinburgh_Appel_Commun_2010_French.html ,
et celle du mouvement évangélique l' »Engagement du Cap », en ligne sur :
http://lausanne3.wordpress.com/ pour la première partie déjà traduite en français, et sur :
http://www.lausanne.org/ctcommitment pour la deuxième partie en version anglaise.

5. Cf. le thème d'Édimbourg 1910 : « Considérer les problèmes missionnaires en relation avec le monde non-chrétien».

6. John R. Mott, The Evangelization of the World in this Generation , London, Student Volunteer Missionary Union, 1900.

7. Les deux textes sont disponibles sur : http://www.missiologie.net/documents_base.php

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